Le rendez-vous des Divinités : Hermès et les muses

Nadège Quinssac est une enseignante de Grec et une passionnée de Mythologie et d’Astrologie. Chaque mois, nous la retrouverons à la rencontre d’une ou de nouvelles divinités pour un Tissage entre Antiquité et Modernité afin de relier la Culture antique, sous le prisme de la Mythologie, à notre vie quotidienne et contemporaine, en les entrelaçant toutes les deux à la Roue de l’Année, à l’Astrologie, et aux Archétypes que nous présente chaque mois Alexandra Fryda Marty.

Le signe du Gémeaux depuis fin mai occupe une grande place dans le mois de juin et l’Archétype de la Muse (article d’Alexandra Fryda Marty à lire ici).

Les caractéristiques de cet Archétype et celles du signe d’air qu’est le Gémeaux sont étroitement corrélées au dieu latin, Mercure, dont la planète du même nom régit le signe. En effet, il s’agit du dieu Hermès en grec avec toute l’espièglerie qui lui est inhérente dans la Mythologie mais aussi avec ses attributs principaux de créativité et de communication.

On remarque la richesse de la Culture antique dans plusieurs domaines de notre vie, comme nichée au cœur de notre quotidien, et la Mythologie s’invite souvent à la même table que l’Astrologie. En effet, la cartographie du ciel est très étroitement liée aux épisodes, aux cycles mythologiques comme les Grecs anciens nous l’ont transmis : ils l’appelaient même l’uranographie, en spéciale dédicace à Uranie, la Muse de l’Astronomie.

Uranie, peinture à l’huile, Paul Vincenti, 2011

Héritage du dieu Hermès dans la roue zodiacale avec le signe du Gémeaux

Le signe d’air du Gémeaux est souvent associé à l’aeternus puer, l’éternel jeune enfant, l’adolescent espiègle qui expérimente et veut voir par lui-même où son idée le mènera. Il est aussi qualifié d’habile, d’esprit vif qui aime parler, communiquer, échanger, débattre… Tournons-nous vers la Mythologie pour effectuer des ponts, des relations : Mercure ou Hermès a bon nombre d’épisodes à son actif, alors qu’il est encore un tout jeune enfant…

En effet, Hermès accomplit des exploits autant que des bêtises d’enfant et fait parler de lui dans l’Olympe dès son plus jeune âge. L’espièglerie est au rendez-vous mais aussi l’habileté et l’esprit alerte. Hermès est fils de Zeus et de Maïa [1].

L’un des plus célèbres épisodes racontés dans l’Hymne homérique composé en son honneur est qu’un jour, à midi, tout jeune enfant, il avait quitté la maison familiale et sur le chemin avait trouvé une tortue morte. Il a immédiatement l’idée de transformer la carapace de cette tortue qui résonne quand on tape dessus en un instrument de musique et là, son habileté artisanale, créative, voit le jour à partir de cet épisode. Il a, en effet, l’idée de vider cette carapace, de tendre deux tiges de roseau pour maintenir un cadre à l’instrument qu’il envisage de créer et de tendre également sept boyaux de brebis pour en faire les cordes : l’instrument de la lyre était né.

La même journée, son espièglerie le pousse à jouer un tour au dieu Apollon en lui volant ses boeufs et en les faisant marcher à reculons pour que les traces de pas ne soient pas dans le bon sens et ne laissent aucun indice. Mais renseigné par un vieillard qui était à proximité, Apollon retrouve Hermès et lui demande en contrepartie de ses bœufs la lyre qu’il vient de créer, sensible au son mélodieux de cet instrument.

Plus tard, Apollon sera vivement intéressé par la flûte fabriquée par l’ingénieux Hermès et il l’obtiendra en contrepartie de cours et d’apprentissages sur ses dons de prédiction et c’est ainsi qu’Hermès pourra bénéficier de ce talent.

Il est également le dieu de la connaissance : son surnom d’interprète en grec se dit « hermeneus » qui a donné « l’herméneutique », qui est la recherche de sens et l’art de l’interprétation. Mais aussi, il a donné naissance à « hermétique ». Et Hermès peut apparaître comme « hermétique » car il ne se laisse pas facilement cerner, décrypter, il reste dans une forme d’ambiguïté, tout comme le signe de dualité souvent symbolisé par les signes gémellaires.

On attribue aussi à Hermès, comme à tout être, sa part d’ombre : la tricherie, la sournoiserie… Il était le dieu des marchands, des commerçants, mais aussi des voleurs. C’est en cela que la dualité est en arrière-plan.

C’est pour toutes ces raisons qu’Hermès est considéré comme le patron de l’art oratoire, de l’art du bien parler, et de l’art de comprendre ce qui peut paraître obscur, mais il choisit de se dévoiler en toute fluidité quand bon lui semble…

De plus, on raconte que c’est lui-même qui a choisi de donner la parole à la première femme, Pandore, d’avoir inventé l’écriture, la danse et la musique soit toute forme d’expression. Il est le représentant du trio pensée, parole, réalisation : il est au cœur de la créativité.

Par ailleurs, Hermès est le messager des dieux mais aussi celui qui leur rend service. Il est donc souvent au cœur de la communication, des déplacements et des projets des dieux. Il est relié à la liberté de déplacements, de mouvements, et parfois en astrologie, selon comme il est aspecté, il peut se révéler « joueur » et entraîner des ratés, des confusions, des retards, des accrocs dans les déplacements et communications. Hermès est aussi celui qui conduit les âmes des morts aux Enfers (le Psychopompe) : il est le lien entre la vie et la mort, entre l’activité de la journée et le sommeil/les rêves de la nuit.

Concernant les déplacements, Hermès parrainait aussi les voyageurs et les marcheurs, mais il s’agit aussi de déplacements plus symboliques, comme celui du voyage intérieur, de l’évasion, liée aux plaisirs que l’on peut se faire, s’offrir, aux parenthèses que l’on s’accorde, aux sensations et aux ressentis sensoriels qui émanent de nous… C’est une forme, une belle forme, de voyage avec soi-même…

Entrons dans le Jardin de l’Antiquité pour y retrouver les Muses…

Comme nous venons de le voir, Hermès et Apollon sont étroitement liés autour de la lyre, qu’Hermès invente et qu’Apollon récupère en échange des bœufs qu’il laisse au tout jeune dieu. Ainsi, le beau et lumineux Apollon, par la lyre et la maîtrise de cet instrument, deviendra le dieu des arts, de la beauté et de l’esthétique, accompagné du cortège des Muses.

Les Muses sont filles de Zeus et de la déesse Mnémosyne (= la Mémoire), elles sont le fruit de 9 nuits d’amour entre ces divinités. Elles règnent sur la Littérature, la Musique, la Danse puis toutes les activités artistiques et individuelles. Elles habitent sur le Mont Hélicon, ou le Mont Parnasse (qui d’ailleurs se retrouve dans le nom du Quartier Montparnasse à Paris, célèbre pour ses ateliers d’artistes), ou elles siègent près du Mont Olympe (on remarque en tous les cas toujours un endroit élevé, comme un lien transversal avec la Terre et le Ciel…). Elles sont vénérées lors de cultes à travers toute la Grèce et plus tard également dans la culture romaine.

Les Muses ont étymologiquement donné les termes de « musée » et de « musique » et puis une muse est devenue l’appellation de toute égérie qui inspire un artiste, une marque… Chaque Muse représente un art particulier, elles sont des Gardiennes de l’Histoire, des Protectrices des savoir-faire et des Tisseuses dans la transmission qu’elles font de ces précieux savoirs qui forment le patrimoine artistique et culturel :

  • Calliope, qui signifie « à la très belle voix », est la Muse de la philosophie et de la poésie épique, la poésie des grands héros tels que Ulysse, elle tient un stylet, ancêtre de la plume,  et une tablette de cire comme support de l’écriture, mais aussi un volumen, ancêtre du livre. Sa tête est couronnée de laurier et ornée de guirlandes fleuries. Elle incarnait la Muse des Muses, et pouvait jouer un rôle d’arbitre dans les conflits. D’ailleurs, les Muses savaient se montrer impitoyables si on les provoquait avec arrogance : on raconte que les Sirènes, voulant se mesurer à elles par le chant, en ont perdu leurs ailes et sont tombées dans les abîmes de la mer.
  • Clio, qui veut dire « la célèbre », tient la plume de l’Histoire, tisse les histoires de chacun dans l’Histoire de l’Humanité et est connue pour avoir donné sa forme définitive à l’alphabet grec. Elle est couronnée de laurier, représentée avec un stylet et une tablette de cire mais aussi une clepsydre, cette horloge à eau permettant de signifier le temps qui passe.
Clio, marbre de la Villa Cassius, près de Tivoli, 2e s. ap. J.C, Musée du Vatican, Rome.
  • Erato, « celle qui aime et est aimée », est la Muse de la poésie érotique et lyrique. Couronnée de roses et de myrte, elle est représentée avec de nombreux attributs musicaux, tels que la lyre mais aussi, le tambourin, la cithare (également associée à Apollon). Eros, (Cupidon en équivalent Romain), l’accompagne souvent pour désigner l’amour que sa poésie inspire.
  • Euterpe, dont le nom veut dire « celle qui sait plaire, la toute réjouissante», est la Muse de la flûte et de la musique lyrique, elle est couronnée de fleurs et est représentée avec une flûte, mais aussi avec une lyre ainsi que des partitions de musique sur papyrus sont souvent disposées auprès d’elle.
  • Melpomène, « la chanteuse », inspire les auteurs de tragédie et a pour attribut principal le masque de théâtre. Elle est couronnée de rameaux de vigne pour faire allusion à Dionysos, le dieu régnant sur le théâtre mais aussi la fête, l’ivresse et les banquets.
Melpomène, huile sur toile, Orphée de Gustave Moreau, 1865,
Musée d’Orsay, Paris
  • Polymnie, « la Muse aux voix et aux chants multiples », est la Muse des hymnes, de la musique sacrée, des chants nuptiaux et funéraires. Elle inspire les poètes en mettant dans leur cœur le souffle, le pneuma, de l’inspiration de la divinité, comme le terme « enthousiasme » l’indique « ce qui entre dans le thymus ». Elle est représentée dans une attitude pensive avec un rouleau de papyrus dans sa main gauche. Sa chevelure est entrelacée de fleurs, de perles et de pierres semi-précieuses.
  • Terpsichore, qui signifie « dont la danse plaît, dont la danse séduit », préside, la tête couronnée de guirlandes fleuries, le chant, le chant choral (qu’on retrouve à la fin du nom de cette Muse avec le suffixe -chore) et la danse, elle aura aussi l’attribut de la lyre en écaille de tortue (clin d’œil à Hermès et à sa fabrication très artisanale de la lyre).
Terpsichore, peinture du plafond du Palais de Marbre de Saint-Peter, Saint-Petersburg
  • Thalie, « la fleur en éclosion, la florissante », est la Muse de la comédie et la poésie des bergers, appelée poésie pastorale, ainsi que la poésie champêtre, la poésie bucolique, la poésie légère et pétillante des mois d’été. Couronnée de lierre, elle tient un masque de comédie dans une de ses mains, et un bâton dans l’autre, symbolisant le bâton de marche des bergers. Parfois, le clairon peut l’accompagner en relation avec le masque porte-voix des acteurs antiques.
  • Uranie, « la céleste », la Muse de l’astronomie et de l’astrologie, elle est vêtue d’une tunique azur, auréolée d’étoiles et de petites sphères, elle tient un globe terrestre et divers outils mathématiques tels qu’un compas.

Quand Apollon vit pour la première fois ces jeunes nymphes, baignées de rayons de soleil, ne faisant qu’un avec la Nature, ces jeunes filles jouaient près d’une cascade d’eau. Plusieurs poètes grecs insistent sur cet épisode. Et en effet, leur ancien caractère de nymphes des sources explique que de nombreuses fontaines étaient consacrées aux Muses.

On les associe souvent à des nymphes de sources et de fontaines car leur mère, Mnémosyne, Déesse de la Mémoire, leur a transmis cette capacité du souvenir, du témoignage qui s’ancre dans l’histoire, comme dans chacun des arts que les Muses protègent en imprégnant chaque activité artistique de son histoire, de son passé, de ses traditions, et en les infusant de chaque expérience humaine liée au temps.

L’eau pour les Grecs avait ce pouvoir de mémoire : une capacité à véhiculer la mémoire, le mouvement de flux et de reflux qui brasse, charrie, transporte, fait s’écouler les blessures, les mauvais moments comme les meilleurs. L’eau comme une métaphore de la vie qui s’écoule…

Les offrandes qu’on faisait aux Muses dans différents sanctuaires à travers toute la Grèce, et toutes les îles grecques et même en Sicile, consistaient en des grains de blé pétris de miel, on versait sur leurs autels des libations d’eau, de miel et de lait, contenant en eux le principe nourricier.

Les Neuf Muses deviennent des icônes de ces précieux domaines : elles sont de véritables intermédiaires entre la divinité et le poète, qui étymologiquement signifie « poiésis » l’artisan du faire, celui qui tisse les mots entre eux, comme entre la divinité et tout créateur.

La poétesse grecque Sappho était surnommée la Dixième Muse en raison de son pouvoir créatif inspirant et innovant, un vrai souffle d’oxygène pour exprimer toutes les formes d’amour dans ses textes poétiques sans honte ni peur. Une vraie bouffée d’air frais quand la poétesse aux cheveux tressés, entrelacés de violettes, lors de ses cercles de femmes, leur transmettait d’assumer pleinement leur statut de femme pour qu’elles n’oublient jamais de faire de chacune d’elle leur priorité, en faisant confiance à leur féminité, à leur intuition, et à leur créativité.


[1] Maïa est la sœur aînée des sept Pléiades, filles du Titan Atlas et de son épouse, Pléioné : les Pléiades ont donné leur nom à un groupe de 7 étoiles qui avaient une importance toute particulière pour rythmer les saisons, notamment le temps des semailles et des plantations.  Maïa avait une fête en son honneur, le 1er mai, et on explique que le mois de mai s’appelle ainsi.

Image de couverture : Polymnie, marbre, 2e s. ap. J.C, Musée du Louvre, Paris.