Le rendez-vous des Divinités : Thémis et la saison de l’Automne

Nadège Quinssac est une enseignante de Grec et une passionnée de Mythologie et d’Astrologie. Chaque mois, nous la retrouverons à la rencontre d’une ou de nouvelles divinités pour un Tissage entre Antiquité et Modernité afin de relier la Culture antique, sous le prisme de la Mythologie, à notre vie quotidienne et contemporaine, en les entrelaçant toutes les deux à la Roue de l’Année, à l’Astrologie, et aux Archétypes que nous présente chaque mois Alexandra Fryda Marty.

Le soleil nous dit petit à petit au revoir et nous fait sa plus belle des révérences, la danse colorée des feuilles entame un ballet flamboyant et peu à peu le silence de l’Automne nous enveloppe…

L’Automne n’est pas une saison qui existe depuis toujours dans l’Antiquité. En effet, deux cycles primordiaux scindent l’année en deux, l’été puis l’hiver, qui correspondaient au cycle du jour et de la nuit, de l’abondance des fruits et des récoltes de l’été avec la germination en terre, la pousse secrète, durant l’hiver.

Le mythe de Perséphone, la fille de Déméter, enlevée par le dieu des Enfers, Hadès, alors qu’elle cueillait des fleurs, est l’illustration parfaite de cette cyclicité. En perdant sa fille six mois de l’année, Déméter sombre dans le chagrin ; ce qui se traduit par le mauvais temps, la saison des pluies et du froid, l’absence de récolte et les incertitudes de l’hiver. Lorsqu’elle retrouve sa fille durant les six autres mois, Déméter exulte de joie et fait renaître les fleurs, les fruits, c’est la saison de la moisson du grain de blé, des récoltes, de l’abondance, des vendanges.

Ainsi cette explication très poétique montrait l’origine de ce cycle répétitif de la mort et de la renaissance à la vie.

Perséphone contient en elle le principe de vie ; le royaume d’Hadès, le monde souterrain, est perçu comme la grotte, protectrice et humide, qui permet la germination en terre durant les mois plus froids, et qui prépare la pousse, l’éclosion, et la promesse de vie des beaux jours. La remontée de Perséphone à la lumière est la parfaite illustration de la renaissance végétale et de la floraison.

Ainsi, nous sommes en présence de deux saisons principales, l’été et l’hiver, auxquelles une saison intermédiaire était nécessaire : celle du printemps, qui fait de la Grèce un jardin et qui permet de rester fidèle au chiffre 3, si chargé de symbolique dans l’Antiquité. Sous l’influence des Pythagoriciens, rattachés à Pythagore, une 4° saison, intermédiaire de l’été à l’hiver, voit le jour…. Et c’est ainsi que naît l’automne.

Il fallait qu’après l’étincelante luminosité de l’été, et avant la rigueur hivernale, un passage transitionnel ait lieu : passage vers l’intensité décroissante de la lumière, vers la diminution du jour, le rafraîchissement de l’air…

Il est question d’une arrière-saison que nous continuons d’employer pour désigner les beaux jours finissants de l’été qui versent dans l’automne. Et en grec, métoporôn est le mot consacré à cette arrière-saison avec mét-méta qui veut dire « après » et oporon « après la saison », c’est bien la « saison après la saison », celle des figues et des raisins, le lien entre les vergers de pommiers et de poiriers et le vent qui se fait plus cinglant, plus froid, plus hostile. Et c’est ainsi qu’Opora peut être personnifiée par la déesse de l’automne.

Thallô « celle qui germe, qui fleurit, qui devient verdoyante » pour la déesse du printemps. Carpô « celle qui produit des fruits, qui récolte » pour la déesse de l’été. Chioné la déesse de l’hiver associée au froid, à la neige.

Opora est appelée par Aristophane, dans sa pièce de théâtre, La Paix, « la vénérable déesse qui donne les raisins », elle est également associée aux figues. Elle est souvent en compagnie de Dionysos, le dieu du vin et des banquets. La déesse de l’automne est liée elle aussi à un mythe de passage qu’un écrivain, un poète, nous a livré. Opora est à la charnière, à la transition, à la séparation, annonciatrice de l’hiver.

Illustration de Escpade.Eklablog

Sirius tombe fou amoureux d’Opora mais ne parvient pas à la séduire. Il se consume d’un feu dévastateur et cette ardeur brûlante est bien celle de l’étoile de Sirius, associée à la constellation du chien, Canis en latin qui donne la canicule.

Son feu dévastateur brûle et dessèche toutes les cultures des champs. Désespérés, les hommes implorent les dieux : Borée, le vent du Nord, envoie ses deux fils, Calaïs et Zétès, appelés les vents étésiens, qui calment les ardeurs brûlantes de Sirius, qui l’aident à séduire Opora et qui viennent ainsi en aide aux hommes qui peuvent alors traverser cette canicule et y survivre pour atteindre une arrière-saison plus adoucie.

Les Saisons, ces Gardiennes des Portes de l’Olympe écartaient et replaçaient une très épaisse nuée d’humidité fertilisante comme une rosée du matin, sorte de respiration cosmique qui établissait un lien, une connexion entre le monde des dieux et celui des hommes. Un équilibre qui plaisait tant aux Grecs pour qui le rythme harmonieux était très important.

La saison, en Grèce antique, c’est avant tout le moment concret, l’heure, à laquelle doit venir ce qui est juste et attendu. Chez Homère, dans son œuvre l’Odyssée, il désigne la saison du printemps comme « l’heure où viennent les feuilles et les fleurs. » Et en cela, nous nous rapprochons des Grecs puisque nous comptons aussi parfois l’âge d’une personne en printemps pour signifier son nombre d’années. Et c’est justement là que réside tout l’intérêt de parler de Thémis et de ses trois dernières filles, conçues avec Zeus et appelées les Horai, les Heures au sens des Saisons : ce sont elles qui découpent le temps en portions, en saisons, en heures.

Par ses filles, Thémis continue ainsi de veiller à l’équilibre du monde, par la cyclicité des saisons. De veiller à l’harmonie du monde par la beauté juste que renferme chaque saison.

À Athènes, on personnifiait les Saisons. On aimait les imaginer en jeunes filles ou femmes mûres, vêtues de longues robes mousseuses, aériennes, brodées de fleurs, tenant, selon la saison représentée, des bouquets, des couronnes de fleurs ou de végétaux, des fruits, des pampres de vigne. Chacune portait l’emblème de l’heure de l’année qu’elle symbolisait : des fleurs au printemps, des épis de blé et une faucille en été, un vase et des raisins en automne, des graines et des roseaux en hiver.

Les Quatre Saisons, Walter Cane.

Dans le sillage de l’Archétype féminin associé à l’automne et au signe de la Balance, proposé par Alexandra Fryda Marty, l’Archétype de la Dame de l’équilibre, de l’Epouse sacrée, ou encore de la Reine de l’automne, Thémis prend toute sa place dans le tissage de l’Antiquité avec la Modernité.

Fille de Gaïa, la Terre-Mère, et d’Ouranos, le Ciel, Thémis appartient à la génération des Titans. Elle siège aux côtés de Zeus, et prend des décisions emplies de sagesse, après avoir mûrement réfléchi aux conséquences de sa décision, après avoir bien pesé le pour et le contre. Elle rappelle en cela la déesse égyptienne Maât, gardienne de la justice, de l’ordre, et de la vérité, avec la pesée de la plume et du cœur.

Thémis est représentée les yeux bandés pour symboliser la décision objective, le choix neutre et impartial ; elle porte dans une main devant elle les plateaux de la balance en équilibre, et de l’autre main, le rouleau de papyrus ou, très souvent, le sceptre, qui signifie le choix net, la décision tranchée à l’épée du discernement. Elle est donc bien assimilée au signe de la Balance, sensible à l’équilibre et à l’harmonie, signe attaché à la décision pondérée et juste, qui rapproche, qui réunit, qui concilie les différents points de vue.

Sculpture de Claude Franchomme, 1718, au Musée d’Art Comtesse, Lille.

Thémis avait la faculté de prendre des décisions avec sagesse et clairvoyance. Pindare, un poète grec, l’appelle même « la céleste Thémis aux conseils avisés ». On la dit même à l’origine de l’Oracle de Delphes, célèbre pour sa Prêtresse, la Pythie, la voix féminine par laquelle le dieu Apollon transmettait sa prophétie.

Thémis veille sur le respect des lois célestes comme humaines, individuelles comme collectives, celles qui régissent le rapport avec le divin et le terrestre : elle réunit le Ciel et la Terre, l’Esprit et la Matière.

Thémis veille aussi sur la pureté comme l’impureté en matière de culte des morts, dans le cadre du culte des dieux, ou encore pour les conduites à tenir dans le cadre d’homme jugé pour ses crimes.

Statue représentant Thémis, centre-ville de Francfort.

La déesse Thémis veille également à l’équilibre de chacun, dans ce rapport si précieux de soi à soi et elle invite à l’harmonie entre la part de lumière et les zones d’ombre que chacun, nous possédons en nous.

On le voit : Thémis préside au juste milieu, au juste équilibre des polarités, à la conformité entre corporel, spirituel, visible et non-visible, entre le manifesté et le non-manifesté. Et c’est ce que nous propose cet Archétype de l’Epouse sacrée en Balance : rentrer en nous pour y chercher l’équilibre des deux plateaux entre l’obscurité et la lumière, entre le yin et le yang, pour y comprendre notre juste vérité…

Enfin, Thémis veille au retour de l’unité en temps de conflit, en soufflant l’inspiration de la sage décision, de la négociation bien pensée, du compromis qui ne lèse aucun des partis, du respect des individus entre eux, quelles que soient leurs divergences. Thémis a également comme mission de veiller à l’équilibre des forces naturelles et de l’univers : elle assure la régularité des mouvements de l’univers. Et rappelons-nous que la Balance est le signe astrologique qui marque l’équidistance entre le jour et la nuit lors de l’équinoxe d’automne.

Thémis de Rhamnonte, -300 av J.C.

Durant l’automne, entre octobre et novembre, avaient lieu des fêtes et des rituels en l’honneur de Déméter, pour la remercier de l’abondance des récoltes durant les mois précédents. Un des rituels les plus connus est celui des Thesmophories. Plutarque, un écrivain grec, souligne que cette fête est consacrée aux semailles de l’automne pour permettre aux graines plantées de pousser dans la chaleur du cœur de la terre durant l’hiver pour éclore au printemps. Et il ajoute que lorsque, durant cette fête, on retourne la terre pour la bêcher, ou pour la labourer, on se souvient de ceux qui sont sous terre et cette référence aux défunts restera bien prégnante pendant la saison hivernale.

Déméter, la déesse nourricière, est célébrée dans ce rituel intime des Thesmophories, où les propos échangés entre femmes, loin de leurs époux, ne sortaient pas des cercles de femmes qu’elles organisaient pour cette occasion. Les neuf jours de cette fête, associés aux neuf jours durant lesquels Déméter recherche sa fille Perséphone, et comprend où elle se trouve, avaient  pour but de déposer l’intention de fertilité pour les champs et de fécondité pour les femmes. Lors de cet événement, les polarités du masculin et du féminin fusionnent : en effet, les femmes occupent l’espace politique, elles prennent la place des hommes pour tenir des assemblées sous des tentes, installées sur la colline de la Pnyx, près du temple de la déesse Déméter. La divinité veille, par ce rituel, à la perpétuation des citoyens par la fécondité des femmes comme par la fertilité des terres cultivées pour assurer nourriture et prospérité aux hommes.

La déesse de l’agriculture, Déméter, associée à la présence de Thémis, déesse de la justice et de l’ordre, mais aussi à celle d’Opora, la déesse de l’automne, donne une dimension à trois voix à ce rituel des Thesmophories.

La Culture antique se retrouve bien au cœur de la Modernité dans cette saison de l’automne, jouant une partition élégante entre harmonie, équilibre, justesse et douce intégration de la lumière aux côtés de l’obscurité, permettant ainsi de retrouver autant la symbolique de l’équinoxe d’automne que les caractéristiques du signe de la Balance dans l’Archétype de l’Epouse Sacrée, qui épouse toutes les parties d’elle-même en les acceptant pleinement.

Photo by @mp_photoographie, modèle @thyphany_koeke