Au Domaine les Bruyères, si belle est la table

La beauté réside dans le fait de vivre et manger de façon éclairée, dans la préservation du capital proposé par la nature. Cybèle & Franck Idelot élaborent une proposition culinaire qui de l’assiette au verre décline les plaisirs simples d’un aliment auto produit et cuisiné sans perte, d’un vin élaboré de façon responsable.

« Et là, j’ai ajouté des feuilles de maïs légèrement brulées » – complète la cheffe en détaillant la composition d’une ganache au chocolat blanc accompagné d’une confiture de petit lait parsemé d’une poudre de feuilles de mais brulé donc et d’un crumble cacao. Une subtilité en bouche pour le moins insolite lorsque l’on entend son énoncé.  Chez Cybèle Idelot pourtant, rien d’improbable. L’adage populaire « rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme » semble avoir été écrit pour elle. Elle le réécrirait toutefois : « tout se créé, rien ne se perd, tout se transforme » en désignant surement à quelques mètres d’elle le potager qu’elle a aménagé il y a une paire d’années et qui vient fournir ses 2 restaurants.

Elle raconte avoir découvert la cuisine de façon familiale, mais a étudié les Beaux-Arts avant de commencer sa carrière dans un restaurant à Saint-Barth. Puis elle devient cheffe pâtissier à San Francisco, d’où elle est originaire, et organise bons nombres de dîners géants pour des particuliers à New York. Si elle est là aujourd’hui, les pieds ancrés dans le sol du Domaine Les Bruyères dans les Yvelines, c’est à la faveur de sa rencontre avec Franck. Après 5 années à faire des allers-retours entre Paris et New-York, il faudra prendre une décision : « je voulais aller là-bas, elle voulait rester ici, j’ai été gentleman » – glisse-t’il en riant. L’occasion rêvée pour lui de nourrir  un intérêt passionné pour le terroir viticole, pas étranger à sa région d’origine : la Champagne.

Ainsi quitte-t’il une carrière dans les start-up pour ouvrir avec Cybèle, en 2013 à Boulogne, la bien-nommée « Table de Cybèle ». Il gère la carte des vins, aujourd’hui près de 125 cuvées naturelles ou en biodynamie. L’air de rien, c’est un réel de travail de sourcing car si ces pratiques se popularisent sur le territoire français, seuls 10% des vignobles sont exploités en biodynamie, ceci se valide par un label, et 3% des bouteilles de vins produites sont considérées comme « naturelles », la dénomination étant plus aléatoire.  Dès lors, ce sont des escapades à la rencontre des vignerons qui produisent de façon eco-consciente. Un Ganevat jurassien, et un Bourgogne de chez Fanny Sabre… « Je voulais prouver que les vins natures ne donnent pas mal à la tête » – glisse un convive resté à table un peu plus tard que les autres.

Difficile de ne pas flâner sans fin dans et autour de ce second restaurant Ruche, ouvert en 2019, après le succès du premier. L’histoire est simple autant qu’elle est belle. Après avoir noué des liens avec des producteurs locaux pour s’approvisionner, Cybèle va plus loin. Elle décide de produire ses propres aliments : elle plantera son potager. Elle part donc à la recherche d’un lopin de terre. Elle acquerra le domaine Les Bruyères. Franck raconte : « c’est la première maison que nous avons visité. Un ancien relais de Poste du 19ème siècle, aujourd’hui entouré de 8 ou 9 haras. Alors, oui, nous voulions seulement un terrain pour un potager mais on a réfléchi et on s’est dit pourquoi pas ». De cette maison, ils en font un projet d’accueil complet : ils repensent les intérieurs en 5 chambres d’hôtes, installent le restaurant Ruche, et bien sûr déploient leur potager. « Aujourd’hui, il fournit 100% de notre table ici et 60% du restaurant de Boulogne ».  C’est tout un eco-système qui s’est mis en place « de la graine à l’assiette » résume Cybèle. Les seconds et commis de cuisine, « l’équipe » comme l’appelle la cheffe, viennent de façon hebdomadaire au potager qui est géré avec l’aide ponctuelle d’un permaculteur. On y trouve carottes, choux en plusieurs variétés, navets, de nombreuses baies, des manguiers en devenir… et un peu plus loin quelques ruches.

Dans la salle du restaurant, à la décoration champêtre, s’exposent quelques bocaux de miso, technique japonaise de fermentation qui produit une soupe ou une pâte à haute teneur en protéines, et est au demeurant très favorable pour la digestion comme toute préparation lacto-fermentée. De son miso de pois-chiche, Cybèle en fait un beurre qui accompagne un fenouil rôti accompagné d’une chiffonnade du même légume, associé à une purée de carottes montée à l’huile de fenouil et d’un pistou de fanes de fenouil et d’ail des ours. Un légume décliné au possible pour ne rien en perdre.

A quelque pas de là, un autre bâtiment n’attend qu’un projet pour se révéler. Franck raconte « nous prévoyons d’ouvrir une boulangerie pour Gambais, et autour, suite à une forte demande concernant notre pain au levain ». Ce pain, fait d’une farine bio chinée chez des voisins du domaine, est effectivement aussi aérien et léger qu’un nuage.  

Régulièrement, la carte se renouvelle de nouvelles propositions élaborées par la cheffe en fonction de ses inspirations, des saisons et des récoltes potagères. De la terre à la table, de la graine à l’assiette, record battu : une vingtaine de mètres.

Crédits photos : Virginie Garnier